Droit international de la conservation marine

Face à la dégradation accélérée des écosystèmes marins, le droit international a progressivement élaboré un cadre juridique visant à protéger les ressources marines. Cette branche juridique, à l’intersection du droit de l’environnement et du droit de la mer, se caractérise par une multiplicité d’instruments normatifs et d’acteurs. Des conventions internationales comme la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer aux accords régionaux, le régime de protection marine forme un système complexe en constante évolution. Les défis actuels liés à la surpêche, au changement climatique et à la pollution marine exigent une analyse approfondie des mécanismes juridiques existants et de leur efficacité à préserver l’intégrité des océans pour les générations futures.

Fondements et évolution historique du droit de la conservation marine

Le développement du droit international relatif à la conservation marine s’inscrit dans une trajectoire historique marquée par une prise de conscience progressive de la vulnérabilité des écosystèmes marins. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, les océans étaient principalement régis par le principe de liberté des mers, doctrine juridique formulée par Hugo Grotius au 17ème siècle, qui considérait les ressources marines comme inépuisables et accessibles à tous. Cette conception a longtemps prévalu, limitant toute velléité de régulation internationale significative.

Un tournant majeur s’opère après la Seconde Guerre mondiale, avec l’adoption de la Convention de Genève sur le droit de la mer en 1958, premier instrument multilatéral d’envergure abordant explicitement des questions de conservation. Cette période marque le début d’une transition vers une approche plus conservationniste, reconnaissant la finitude des ressources marines.

La véritable fondation du régime contemporain de conservation marine s’établit avec l’adoption de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) en 1982, entrée en vigueur en 1994. Ce texte fondateur, souvent qualifié de « constitution des océans », établit dans sa Partie XII des obligations générales de protection du milieu marin. L’article 192 pose un principe cardinal: « Les États ont l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin ». Ce cadre juridique global s’articule autour d’un équilibre entre l’exploitation des ressources et leur conservation.

Parallèlement, les années 1970-1980 voient l’émergence d’instruments sectoriels ciblant des menaces spécifiques, comme la Convention de Londres sur la prévention de la pollution marine (1972) ou la Convention MARPOL relative à la pollution par les navires (1973/1978). Cette approche fragmentée reflète la complexité des enjeux marins et la diversité des acteurs impliqués.

La Conférence de Rio en 1992 marque une inflexion significative avec l’adoption de l’Agenda 21 et de la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui intègrent pleinement les écosystèmes marins dans une vision holistique du développement durable. Le concept de gestion écosystémique émerge, dépassant l’approche sectorielle au profit d’une vision intégrée des milieux marins.

Principes fondateurs du droit moderne de la conservation marine

Au fil des décennies, plusieurs principes structurants ont émergé pour guider l’élaboration du droit international de la conservation marine :

  • Le principe de précaution, formalisé dans la Déclaration de Rio, qui légitime l’action préventive même en l’absence de certitude scientifique absolue
  • L’approche écosystémique, reconnaissant les interconnexions complexes au sein des écosystèmes marins
  • Le principe de responsabilité commune mais différenciée, tenant compte des capacités variables des États
  • Le principe du patrimoine commun de l’humanité, applicable notamment aux grands fonds marins

Le 21ème siècle témoigne d’une accélération normative avec l’adoption des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies en 2015, dont l’ODD 14 vise spécifiquement la conservation et l’utilisation durable des océans. Plus récemment, les négociations relatives à un instrument international juridiquement contraignant sur la biodiversité marine dans les zones au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) représentent une avancée potentiellement majeure pour combler les lacunes du régime existant.

Cadre juridique international actuel de la protection des océans

Le cadre juridique régissant la conservation marine se caractérise par sa nature polycentrique, mêlant instruments contraignants et non-contraignants, approches globales et sectorielles. Au sommet de cette architecture complexe trône la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), véritable pilier normatif établissant les droits et obligations fondamentaux des États concernant l’utilisation des océans et la conservation de leurs ressources biologiques.

La CNUDM opère une zonation juridique des espaces marins, attribuant des régimes différenciés selon la distance aux côtes. Dans les eaux territoriales (12 milles marins), les États exercent leur pleine souveraineté, tempérée par l’obligation générale de protection environnementale. Au sein de la Zone Économique Exclusive (ZEE, jusqu’à 200 milles marins), ils disposent de droits souverains sur les ressources naturelles mais doivent adopter des mesures de conservation conformes aux articles 61 et 62 de la Convention. Pour la haute mer, espace au-delà des juridictions nationales, la CNUDM prévoit un régime de liberté encadré, incluant la liberté de pêche assortie d’obligations de coopération pour la conservation des ressources biologiques (articles 116-120).

Complémentant ce cadre général, plusieurs instruments sectoriels adressent des problématiques spécifiques :

  • La Convention sur la diversité biologique (CDB, 1992) qui, bien que non spécifique aux milieux marins, fournit des outils juridiques pour la conservation de la biodiversité marine, notamment via son Programme de travail sur la biodiversité marine et côtière
  • L’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons (1995), qui renforce les dispositions de la CNUDM concernant la gestion des stocks chevauchants et des espèces hautement migratoires
  • La Convention MARPOL et ses annexes, qui régulent la pollution marine d’origine maritime

Mécanismes de protection spatiale des milieux marins

Parmi les instruments de conservation les plus prometteurs figurent les aires marines protégées (AMP), zones géographiquement délimitées où les activités humaines sont réglementées pour préserver les écosystèmes. Leur statut juridique varie considérablement selon leur localisation :

Dans les zones sous juridiction nationale, leur établissement relève principalement du droit interne, bien que plusieurs traités internationaux encouragent leur création. La CDB a fixé l’Objectif d’Aichi n°11 visant à protéger 10% des zones marines et côtières d’ici 2020, seuil revu à la hausse (30% d’ici 2030) lors de la COP15 à Montréal en 2022.

En haute mer, la création d’AMP s’avère plus complexe juridiquement, nécessitant généralement des accords régionaux. Des exemples notables incluent la réserve marine des Îles Orkney du Sud établie par la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) ou le réseau d’AMP de l’Atlantique Nord-Est créé sous l’égide de la Convention OSPAR.

Le traité sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ), finalisé en 2023 après plus d’une décennie de négociations, constitue une avancée majeure en établissant un mécanisme global pour la désignation d’AMP en haute mer, comblant ainsi une lacune critique du système actuel.

Cette architecture juridique complexe est complétée par des mécanismes de gouvernance régionale, notamment via les Organisations Régionales de Gestion des Pêches (ORGP) et les Conventions de mers régionales du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Ces instruments permettent d’adapter les principes généraux aux spécificités écologiques et socioéconomiques des différents bassins maritimes, formant un maillage juridique multiniveau qui constitue l’ossature du droit international de la conservation marine contemporain.

Gouvernance internationale des ressources halieutiques

La gouvernance des ressources halieutiques constitue l’un des piliers historiques du droit international de la conservation marine. Face à l’effondrement de nombreux stocks de poissons – la FAO estimant que 35,4% des stocks sont surexploités – un système juridique sophistiqué s’est progressivement construit pour tenter de concilier exploitation économique et préservation des ressources.

L’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons (UNFSA) de 1995 représente l’instrument juridique phare en la matière. Ce texte opérationnalise et renforce les dispositions générales de la CNUDM concernant la conservation et la gestion des stocks chevauchants et des espèces hautement migratoires. Il introduit plusieurs innovations juridiques majeures : intégration explicite du principe de précaution à la gestion halieutique (article 6), obligation de coopération régionale, et mise en place de mécanismes contraignants de règlement des différends.

Le système repose largement sur les Organisations Régionales de Gestion des Pêches (ORGP), entités intergouvernementales dotées de compétences réglementaires pour définir des quotas de pêche, des périodes d’interdiction, ou des restrictions d’engins. Ces organisations, comme la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) ou la Commission des pêches du Pacifique occidental et central (WCPFC), constituent l’armature institutionnelle de la gouvernance halieutique internationale. Leur efficacité varie considérablement selon leurs capacités scientifiques, leur pouvoir décisionnel et leurs mécanismes de contrôle.

Lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée

La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) représente une menace majeure pour la durabilité des ressources halieutiques, avec des pertes économiques estimées entre 10 et 23 milliards de dollars annuellement selon la FAO. Pour contrer ce phénomène, plusieurs instruments juridiques ont été développés :

  • L’Accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port (PSMA, 2009), premier traité contraignant spécifiquement ciblé contre la pêche INN, qui renforce les contrôles portuaires pour empêcher les navires pratiquant la pêche illégale de débarquer leurs captures
  • Le Système de documentation des captures, exigeant la certification de la légalité des produits halieutiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement
  • L’Accord de conformité de la FAO (1993), qui établit des responsabilités pour les États du pavillon concernant leurs navires de pêche en haute mer

Ces mécanismes sont complétés par des initiatives non contraignantes comme le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO (1995), qui établit des principes et normes volontaires pour des pratiques halieutiques durables, ou les Directives volontaires pour la conduite de l’État du pavillon (2014).

L’efficacité de ce cadre juridique se heurte à plusieurs obstacles structurels : capacités de surveillance limitées, particulièrement pour les pays en développement; persistance de pavillons de complaisance; difficultés d’application en haute mer; et fragmentation institutionnelle. Des initiatives novatrices tentent d’y remédier, comme l’utilisation de technologies satellitaires (Système de surveillance des navires, VMS) ou la création de la Base de données mondiale des navires de pêche par la FAO.

Le développement récent de mécanismes de marché, tels que les systèmes de certification (Marine Stewardship Council, MSC) ou les listes de navires INN partagées entre ORGP, illustre l’évolution vers une approche multi-instrumentale combinant outils juridiques traditionnels et incitations économiques. Cette gouvernance hybride, associant acteurs étatiques, organisations internationales et entités privées, reflète la complexité des enjeux halieutiques contemporains et la nécessité d’une action coordonnée à différentes échelles pour assurer une exploitation véritablement durable des ressources marines vivantes.

Protection juridique de la biodiversité marine

La protection juridique de la biodiversité marine constitue un enjeu fondamental du droit international de l’environnement, d’autant plus critique que les océans abritent une part substantielle de la diversité biologique planétaire, largement méconnue et particulièrement vulnérable. Le cadre normatif s’est progressivement étoffé pour répondre aux multiples menaces pesant sur les écosystèmes marins.

La Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992, bien que non spécifiquement marine, représente le socle juridique principal en matière de conservation de la biodiversité. Son article 2 définit la diversité biologique comme « la variabilité des organismes vivants de toute origine […] et les complexes écologiques dont ils font partie », incluant explicitement les écosystèmes marins. La CDB a donné naissance au Programme de travail sur la biodiversité marine et côtière (Decision VII/5), qui fournit un cadre d’action pour les États parties.

Pour les espèces marines migratrices, la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS, 1979) offre un cadre de protection transfrontalière. Plusieurs accords régionaux ont été conclus sous son égide, comme l’Accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ACCOBAMS) ou le Mémorandum d’entente sur la conservation des requins migrateurs.

Le commerce international d’espèces marines menacées est régulé par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES, 1973). Initialement peu appliquée aux espèces marines commerciales, la CITES a progressivement élargi sa portée pour inclure certaines espèces de requins, raies, hippocampes et coraux, malgré les controverses suscitées par l’inscription d’espèces à forte valeur commerciale.

Protection des habitats marins d’importance critique

La préservation des habitats marins constitue un axe majeur de la conservation de la biodiversité. Plusieurs mécanismes juridiques permettent d’identifier et protéger des zones d’importance écologique particulière :

  • Les zones marines écologiquement ou biologiquement significatives (EBSA), identifiées dans le cadre de la CDB selon des critères scientifiques rigoureux
  • Les zones marines particulièrement sensibles (PSSA) désignées par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) pour leur vulnérabilité aux activités maritimes
  • Les sites Ramsar pour les zones humides côtières d’importance internationale
  • Les sites marins du Patrimoine mondial de l’UNESCO, comme la Grande Barrière de Corail ou les Galápagos

La protection des écosystèmes vulnérables comme les récifs coralliens, herbiers marins et mangroves bénéficie d’initiatives spécifiques, telles que l’Initiative internationale pour les récifs coralliens (ICRI) ou le Défi de Bonn qui inclut la restauration des mangroves dans ses objectifs.

Les grands fonds marins, longtemps inaccessibles mais aujourd’hui convoités pour leurs ressources minérales, font l’objet d’une attention juridique croissante. L’Autorité internationale des fonds marins (ISA), établie par la CNUDM, élabore actuellement un code minier incluant des dispositions environnementales pour encadrer l’exploitation potentielle des nodules polymétalliques et autres ressources abyssales. Les débats sur un possible moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins illustrent les tensions entre protection environnementale et intérêts économiques.

L’adoption en 2023 du traité sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ) constitue une avancée historique, comblant une lacune majeure du droit international. Ce nouvel instrument juridiquement contraignant établit des mécanismes pour la création d’aires marines protégées en haute mer, l’encadrement des études d’impact environnemental, le partage des avantages issus des ressources génétiques marines, et le renforcement des capacités des pays en développement.

Malgré ces avancées normatives, la protection juridique de la biodiversité marine reste confrontée à des défis considérables : fragmentation institutionnelle, difficultés de mise en œuvre et de contrôle, connaissances scientifiques lacunaires, et insuffisance des financements dédiés. L’articulation entre les différents régimes juridiques et la transformation des engagements en actions concrètes demeurent les principaux enjeux pour une protection effective de la biodiversité des océans.

Défis contemporains et perspectives d’avenir pour le droit marin

Le droit international de la conservation marine se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins, confronté à des transformations profondes qui remettent en question ses fondements traditionnels et exigent des innovations normatives. Plusieurs défis majeurs façonnent l’évolution de cette branche juridique et détermineront son efficacité future.

Le changement climatique constitue sans doute le défi le plus pressant pour les écosystèmes marins. L’acidification des océans, la montée du niveau des mers, le réchauffement des eaux et la modification des courants océaniques perturbent profondément la biodiversité marine. Face à ces phénomènes, le cadre juridique actuel présente d’importantes lacunes. L’Accord de Paris sur le climat (2015), bien que mentionnant les océans dans son préambule, ne contient pas de dispositions spécifiques à leur protection. Le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe et le Pacte mondial pour l’environnement abordent partiellement ces questions, mais une intégration plus systématique des enjeux marins dans le régime climatique s’avère nécessaire.

La pollution plastique des océans représente une autre menace majeure, avec plus de 8 millions de tonnes de déchets plastiques déversées annuellement selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Les négociations en cours pour un traité international juridiquement contraignant sur la pollution plastique, lancées lors de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA-5.2) en 2022, pourraient aboutir à un instrument innovant couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques, de la production à l’élimination.

Innovations juridiques et gouvernance intégrée

Face à la complexité croissante des menaces, plusieurs innovations juridiques émergent pour renforcer l’efficacité du droit de la conservation marine :

  • L’approche fondée sur les droits, incluant le développement potentiel de droits de la nature appliqués aux écosystèmes marins, comme en témoignent certaines jurisprudences nationales reconnaissant des fleuves ou des écosystèmes comme sujets de droit
  • Le concept de préjudice écologique pur, permettant la réparation des dommages causés à l’environnement indépendamment du préjudice humain
  • Les mécanismes de responsabilité environnementale renforcée pour les activités à risque en milieu marin
  • L’intégration des connaissances traditionnelles des communautés côtières et insulaires dans les processus décisionnels

La fragmentation institutionnelle du droit international de l’environnement marin constitue un obstacle majeur à son efficacité. Plus de 500 accords internationaux traitent directement ou indirectement de la protection des océans, créant un paysage juridique complexe et parfois incohérent. Des initiatives comme le Processus ordinaire à l’échelle mondiale d’évaluation de l’état du milieu marin des Nations Unies ou UN-Oceans, mécanisme de coordination interagences, tentent d’améliorer la cohérence systémique.

La décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030) offre une opportunité d’améliorer l’interface science-politique, en renforçant la base scientifique des décisions juridiques. Parallèlement, l’émergence d’une économie bleue durable nécessite des cadres juridiques novateurs conciliant protection environnementale et développement économique, notamment pour les énergies marines renouvelables, l’aquaculture durable ou le tourisme écologique.

Le financement de la conservation marine demeure un défi persistant. Des mécanismes innovants comme les échanges dette-nature, les obligations bleues, ou les paiements pour services écosystémiques marins sont explorés pour compléter les sources traditionnelles de financement. Le Fonds mondial pour la nature (GEF) a établi un Programme d’action mondial pour la protection du milieu marin, tandis que le Fonds bleu pour la conservation des océans mobilise des ressources privées.

L’avenir du droit international de la conservation marine dépendra largement de sa capacité à transcender les approches sectorielles au profit d’une gouvernance intégrée, à renforcer les mécanismes de mise en œuvre et de contrôle, et à s’adapter rapidement aux connaissances scientifiques émergentes. La planification spatiale marine, approche holistique d’allocation de l’espace océanique aux différents usages, offre un cadre prometteur pour cette intégration. Les récentes avancées normatives, comme le traité BBNJ ou les négociations sur la pollution plastique, témoignent d’une dynamique positive, mais leur traduction en mesures concrètes et efficaces constituera l’ultime test de la résilience du système juridique face aux défis sans précédent qui menacent la santé des océans.

Vers une justice océanique pour les générations futures

La notion de justice océanique émerge comme un paradigme novateur pour repenser le droit international de la conservation marine. Ce concept, à l’intersection du droit environnemental et des considérations d’équité, propose une vision où les océans sont protégés non seulement pour leur valeur intrinsèque mais aussi comme patrimoine commun dont la préservation conditionne le bien-être des générations actuelles et futures.

L’équité intergénérationnelle constitue une dimension fondamentale de cette approche. Les décisions actuelles concernant l’exploitation des ressources marines et la protection des écosystèmes engagent irrémédiablement l’avenir. Le principe d’équité intergénérationnelle, reconnu dans plusieurs instruments comme la Déclaration de Stockholm (1972) ou la Déclaration de Rio (1992), commence à s’intégrer dans le droit positif de la conservation marine. La Cour Internationale de Justice, dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (1996), a reconnu que « l’environnement n’est pas une abstraction mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir ».

Cette perspective intergénérationnelle soulève des questions juridiques complexes : comment formaliser les droits des générations futures dans les instruments de droit maritime ? Quels mécanismes institutionnels pourraient représenter leurs intérêts ? Des innovations comme la création de médiateurs pour les générations futures ou l’inclusion de clauses spécifiques dans les traités marins constituent des pistes explorées par certains systèmes juridiques nationaux et régionaux.

Dimensions socioculturelles de la conservation marine

La justice océanique implique également la reconnaissance des dimensions socioculturelles de la relation aux océans. Les communautés côtières et insulaires, particulièrement dans les pays en développement, entretiennent des liens culturels, spirituels et économiques profonds avec le milieu marin. Ces communautés subissent souvent de manière disproportionnée les impacts de la dégradation environnementale tout en étant marginalisées dans les processus décisionnels internationaux.

Plusieurs instruments juridiques récents tentent d’intégrer cette dimension socioculturelle :

  • Les Directives volontaires pour garantir la pêche artisanale durable de la FAO (2014), qui reconnaissent explicitement les droits des pêcheurs artisanaux
  • La Convention 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux, dont certaines dispositions concernent l’accès aux ressources marines traditionnelles
  • La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007), qui affirme leurs droits sur les ressources naturelles de leurs territoires traditionnels, incluant potentiellement les zones marines adjacentes

Le concept juridique émergent de justice climatique océanique reconnaît que les petits États insulaires en développement (PEID) et autres nations vulnérables supportent un fardeau disproportionné des impacts du changement climatique sur les océans, tels que l’élévation du niveau de la mer ou l’intensification des événements météorologiques extrêmes. Des mécanismes compensatoires comme le Fonds pour les pertes et préjudices établi lors de la COP27 pourraient potentiellement s’appliquer aux dommages océaniques, bien que leur opérationnalisation reste en discussion.

L’accès équitable aux ressources génétiques marines constitue un autre pilier de la justice océanique. Le traité BBNJ récemment adopté établit un régime de partage des avantages issus de l’utilisation de ces ressources, notamment en haute mer. Ce mécanisme vise à éviter que les bénéfices de la biodiversité marine profitent exclusivement aux nations technologiquement avancées, perpétuant ainsi les inégalités Nord-Sud.

Le renforcement des capacités et le transfert de technologies marines représentent des leviers essentiels pour favoriser une participation équitable de tous les États à la gouvernance océanique. Le traité BBNJ prévoit des dispositions substantielles en la matière, tout comme l’ODD 14.a qui appelle à « approfondir les connaissances scientifiques, renforcer les capacités de recherche et transférer les techniques marines […] afin d’améliorer la santé des océans ».

L’avènement d’une véritable justice océanique nécessite une transformation profonde des paradigmes juridiques dominants. Au-delà des approches traditionnelles centrées sur la souveraineté étatique et l’exploitation des ressources, émerge une vision où l’océan est considéré comme un bien commun mondial dont la gouvernance doit intégrer les voix multiples de l’humanité présente et future. Cette évolution conceptuelle se manifeste dans certaines initiatives novatrices comme la Déclaration des droits de l’océan, document non contraignant mais symboliquement puissant élaboré par des organisations de la société civile.

La mise en œuvre effective d’une justice océanique exigera un engagement renouvelé pour renforcer le cadre juridique international, améliorer la représentation des groupes marginalisés dans les forums décisionnels, et développer des mécanismes de financement équitables pour la conservation marine. Dans cette perspective, le droit de la mer évolue progressivement d’un simple ensemble de règles régulant les usages océaniques vers un véritable contrat social entre l’humanité et les océans, garant de leur préservation pour les générations à venir.